Notice sur Mme Vigée Le Brun
Louise-Elisabeth Vigée-Le Brun (1755-1842) a dressé une liste des tableaux et portraits exécutés avant de quitter la France en 1789. Elle y mentionne plusieurs fois la duchesse de Guiche née Aglaé de Polignac (1767-1803) : en 1783 deux portraits, en 1787 un portrait de « la duchesse de Guiche, tenant une guirlande de fleurs » et un portrait de « la même au pastel », en 1789 encore une fois « madame de Guiche, au pastel ». De tous ces portraits il en reste très peu : un exemplaire qui appartenait au comte de Vaudreuil, grand pastel sur papier marouflé sur toile de forme ovale, qui est daté de 1784 (New York, collection particulière). L’exemplaire de la collection Gramont est une huile sur toile signée mais pas datée. Ces deux portraits représentent la jeune duchesse de Guiche en paysanne ou jardinière qui pourrait être un hommage à son talent d’actrice. A l’invitation de la reine, la jeune femme surnommée « Guichette » était régulièrement conviée à jouer avec la « troupe des seigneurs » sur la scène du théâtre du Petit Trianon construit par Richard Mique. L’attitude est peu courante pour un portrait : tête légèrement penchée, mains superposées sur le torse. La référence à La Cruche cassée peinte en 1773 par Greuze est manifeste. Le déshabillé met en valeur la beauté du corps plus qu’il ne le dissimule. La disposition des mains aux longs doigts fuselés interroge sur la dimension érotique de ces peintures, évidente chez Greuze, mais très retenue chez Vigée-Le Brun. La technique d’Elisabeth est parfaitement maîtrisée dans le pastel qui montre la duchesse à mi-corps. L’artiste aime à souligner graphiquement les boucles des cheveux, les sourcils, la découpe d’un ruban ou les plis des étoffes. Ce jeu est moins visible dans l’huile sur toile de la collection Gramont où Aglaé est figurée seulement en buste.
Le portrait de la duchesse de Guiche en jardinière fut exposé pour la première fois à Paris au Salon de 1783 avec ceux de la reine Marie-Antoinette, de Madame, et l’autoportrait au chapeau de paille de Mme Vigée-Le Brun qui fit dire à la critique à son sujet : « c’est une jeune et jolie femme, pleine d’esprit et de grâces, bien aimable, voyant la meilleure compagnie de Paris et de Versailles, donnant des soupers fins aux artistes, aux auteurs, aux gens de qualité ; sa maison est l’asile où les Polignac, les Vaudreuil, les Polastron, les courtisans les plus accrédités et les plus délicats viennent chercher une retraite contre les ennuis de la Cour et rencontrent le plaisir qui les fuit ailleurs. »
Plus tard, auprès des Polignac émigrés en Autriche, c’est à Vienne que Mme Vigée-Le Brun réalise un portrait de « la duchesse de Guiche, en turban bleu, buste » que l’artiste date de 1793 dans ses mémoires, mais qui est datée de 1794 sur l’exemplaire la représentant avec un collier de corail (New-York, collection particulière). Ce portrait est assez surprenant : turban bleu et robe écarlate, collier à double rangée de corail. La blancheur de la carnation séparant le bleu et le rouge transforme ce tableau en un étonnant hymne tricolore. On pourrait interpréter le collier de corail comme une sinistre évocation des gorges tranchées par la guillotine. Les répliques de ce portrait évitent le collier troublant comme le très bel exemplaire de la collection Gramont, signé mais pas daté, qui laisse voir du modèle la beauté de son long cou vierge de tout accessoire. Morte à Edimbourg, Aglaé avait demandé par testament que ses cendres reposent à Bidache une fois la tourmente révolutionnaire et impériale passée.
Elisabeth Vigée-Le Brun se souvient de son séjour autrichien : « J’y rencontrai aussi la duchesse de Guiche, dont le charmant visage n’avait pas changé. Sa mère, madame la duchesse de Polignac, habitait constamment une campagne voisine de Vienne. C’est là qu’elle apprit la mort de Louis XVI, qui l’affecta au point que sa santé en fut très altérée ; mais lorsqu’elle reçut l’affreuse nouvelle de celle de la Reine, elle y succomba. Le chagrin la changea au point que sa charmante figure était méconnaissable et que l’on put prévoir sa fin prochaine. Elle mourut en effet peu de temps après, laissant sa famille et plusieurs amis qui ne l’avaient pas quittée, inconsolables de sa perte ».
La collection Gramont conserve un émouvant profil de la duchesse de Polignac au chapeau, pastel réalisé à la veille du départ en émigration en 1789. La mode prérévolutionnaire y apparait dans la coiffure simplifiée à boucles, l’usage du chapeau, la chemise en gaulle. La technique du pastel offre plus de liberté à l’artiste et fut utilisé à de nombreuses reprises par Vigée-Le Brun pour ne pas lasser ses modèles avec de longues séances de pose, d’autant que la duchesse de Polignac était extrêmement sollicitée par son emploi de gouvernante des Enfants royaux.
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