par Olivier Ribeton, conservateur en chef du Musée Basque et de l'Histoire de Bayonne.
Jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle, les portraits de la collection Gramont ne sont pas signés. Cette collection ayant été très peu, sinon pas du tout montrée dans des expositions, les historiens de l’art n’ont pas eu le loisir de l’étudier comme elle le mérite. Peu à peu ceux-ci identifient les peintres qui ont produit ces portraits Gramont. Il ne faut pas apprécier la collection Gramont selon le seul critère des chefs d’œuvre de l’art mais plutôt selon la constatation d’une très rare continuité d’illustration des effigies d’une famille.
Dans ce chapitre, nous présentons dans leur contexte historique les portraits des membres de la Maison de Gramont. Tous ces portraits sont les témoins des goûts de leurs époques respectives, réunis dans une même collection.
Avec la Renaissance le portrait devient une "carte de visite" qui peut s'envoyer à des amis, des parents ou une famille avec laquelle une alliance est envisagée. Il est laissé en gage d'amitié après une visite. L'ami se déplace, mais son portrait reste chez celui à qui il a été offert.C'est ainsi qu'à la demande de Catherine de Médicis, François Clouet réalisa de nombreux portraits des enfants de la reine. Suivant son exemple, les grands seigneurs commandaient leurs portraits. En témoignent les exceptionnels dessins conservés au musée Condé de Chantilly, figurant Antoine 1er de Gramont et son épouse Hélène de Clermont. La ressemblance avec le modèle, tant physique que psychologique y est recherchée.
La collection Gramont possède un charmant portrait d’Anne d’Humières enfant tenant une cerise de l’atelier de François Clouet. La table devant elle est couverte de cerises. Son âge de quatre ans est donné par l’inscription peinte au-dessus de sa tête. Ce tableau peint vers 1570 rappelle les commandes faites vingt ans auparavant par la reine Catherine de Médicis à des peintres, principalement aux Clouet, pour avoir les portraits des enfants royaux dont le gouverneur était Jean d’Humières, le grand-père d’Anne. Souvent séparée de ses enfants, la reine préférait qu’on lui envoie des portraits plutôt que des bulletins de santé et écrivait, par exemple 19 août 1549 "Monsieur d’Humières j’ay receu la painture de mon fils que vous m’avez envoyer que je trouve bien» mais parfois s’inquiète : "le visage ne rapporte pas du tout » et ne sait si le portraitiste a mal peint ou si l’enfant a beaucoup changé.
Bientôt va naître la mode des galeries de portraits vrais ou fantaisistes. On se cherche des ancêtres chez les Césars, on recourt à la mythologie, on s’offre des amusements plus ou moins innocents : le maréchal de Tessé commandait encore au début du XVIIIe siècle pour son château de Vernie près du Mans, une salle des Empereurs, une salle du Roman Comique et une salle des « maîtresses de rois » montées à cheval, où Corisande d’Andoins, comtesse de Guiche, figurait en bonne place.
La vogue des « Galeries de portraits » atteint son paroxysme au milieu du XVIIe siècle. Le château de Bidache avait sa propre galerie dans l’aile qui fut malheureusement totalement détruite par l’incendie de 1796, puis par les troupes du maréchal Soult en 1813. On ne possède plus que sa description lyrique par le poète Le Vasseur au XVIIe siècle
Au château de Bidache existait aussi une « Chambre d’Hercule » dans le pavillon occidental de l’entrée aujourd’hui démoli, témoignant de la présence d’un décor mythologique identifiant le maréchal de Gramont à Hercule sur le mode allégorique.
Dans le même esprit les femmes prennent des poses "à l'antique", évoquant ainsi des personnages mythologiques.
Cette dualité du portrait en tant qu’instrument de l’apparence, modèle social ou modèle psychologique, est présente dans la collection des portraits de la Maison de Gramont.
Ici le portrait a valeur de témoignage quant à la représentation physique de la personne, mais aussi pour son importance sociale. Il est peint en armure avec son bâton de Maréchal et avec en toile de fond un champ de bataille très réaliste, dont on imagine qu'il est victorieux.
Le portrait d'Antoine III de Gramont a été réalisé dans le même esprit par Lefèvre en 1644. Armure d'apparat, dentelle précieuses et bâton de Maréchal.
Au début du 18ème siècle le portrait devient plus intimiste. Les personnages ne sont plus figés et leur âge est moins caché par esprit de complaisance.
L'espièglerie des enfants d'Antoine V est manifeste sur ce très beau portrait. Le peintre n'hésite pas à introduire un animal familier avec lequel joue un des enfants.
C'est l'épouse d'un grand seigneur, parée pour aller danser à un bal de la Cour. Ici l'intimité n'est plus de mise. Par la richesse de la robe, par le cadre somptueux, ce portrait en pied met en valeur l'importance sociale de la personne représentée.
Ces deux caractères, intimité et solennité, vont ainsi cohabiter dans la première partie du 18ème siècle. Françoise Duparc, la "peintresse du duc", saura faire cohabiter sur le même portrait cette intimité mêlée de faste. L'enfant se tient à sa mère, mais, tout comme sa mère, elle est parée de plumes d'autruche, symbole de faste et de puissance.